En Turquie, nouvelles arrestations de maires kurdes dans le Sud-Est

mis à jour le Lundi 18 mai 2020 à 18h39

lemonde.fr | Par Marie Jégo | le 16 mai 2020

Les élus sont remplacés par des administrateurs désignés par Ankara.

Les autorités turques ont ordonné l’arrestation, vendredi 15 mai, de quatre maires élus sous la bannière du Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde) pour leurs liens supposés avec la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Berivan Helen Isık et Peymandara Turhan, comaires de Siirt, une ville du sud-est du pays à majorité kurde, ont été arrêtés à leur domicile sur ordre du parquet et révoqués, tout comme les maires Baran Akgül et Ramazan Sarsilmaz, des districts de Kurtalan et de Baykan, dans la même province. Dans la ville d’Idgir et dans la province de Mus, quatre autres maires ont été démis. Tous ont été remplacés au pied levé par des administrateurs nommés par le gouvernement.

C’est un nouveau coup dur pour le HDP, deuxième formation d’opposition de Turquie, représentée au Parlement, dont les rangs ont été dégarnis par la répression implacable menée contre ses militants, ses cadres et ses élus. Depuis l’effondrement, à l’été 2015, du processus de paix entre le PKK et Ankara, le gouvernement islamo-conservateur ne cesse de s’acharner sur le parti prokurde.

Lors des élections municipales du printemps 2019, le HDP avait remporté 65 municipalités dans l’est et le sud-est du pays. Depuis, 45 maires HDP ont été révoqués et remplacés par des administrateurs nommés, 21 sont actuellement en prison sous l’accusation de « terrorisme ».

Sept députés du parti, dont sa figure de proue, Selahattin Demirtas, sont également en prison. C’est sous l’impulsion de cet ancien rival de Recep Tayyip Erdogan à l’élection présidentielle de 2014 que le parti a gagné sa popularité, jusqu’à faire son entrée au Parlement, quelques mois seulement après sa création, une première dans l’histoire de la république turque.

Révocations arbitraires

Son bon score aux législatives de juin 2015 (13 % des suffrages, soit 80 députés) avait porté un coup à l’AKP, le parti du président Erdogan, lui faisant perdre sa majorité parlementaire. Lors des nouvelles législatives convoquées par le pouvoir en novembre 2015, le HDP ne fit que confirmer son rang de deuxième parti d’opposition, avec 59 députés élus. Il lui reste encore 52 députés au Parlement mais le gouvernement s’attache à l’affaiblir, l’accusant régulièrement de collusion avec la guérilla du PKK, ce que le parti nie.

Arrêter les maires prokurdes démocratiquement élus, « c’est rejeter la démocratie », a déclaré vendredi son coprésident, Mithat Sancar. « Comme toujours, ces nouvelles arrestations ne sont pas le produit d’une décision de justice mais d’une décision administrative du ministre de l’Intérieur », a souligné le HDP dans un communiqué.

Les révocations arbitraires nourrissent le ressentiment de la population kurde de l’est et du sud-est de la Turquie, mécontente de voir son droit de vote bafoué. Car, une fois révoqués, les édiles sont prestement remplacés par des gestionnaires parachutés sur décision d’Ankara sans qu’il soit question d’organiser de nouvelles élections.

Dans la foulée, les bâtiments des municipalités concernées se muent en camps retranchés, avec moult barrières de protection et forte présence policière. Le 23 mars à Batman, une ville du Sud-Est, la première décision du mandataire d’Erdogan venu remplacer le maire a été de supprimer le contenu en langue kurde du site Internet de la municipalité.

Le gouvernement islamo-conservateur ne laisse aucun répit aux régions kurdes, où la moindre prise de parole est sanctionnée

Cet acharnement est régulièrement dénoncé par les défenseurs des droits de l’homme. Nacho Sanchez Amor, le rapporteur du Parlement européen sur la Turquie, a appelé vendredi les autorités turques à cesser de révoquer les élus sans décision de justice. « Au moins, les conseils municipaux devraient avoir la possibilité de nommer un maire intérimaire parmi ses membres élus »,a-t-il commenté sur son compte Twitter.

Affaibli politiquement par la perte de plusieurs municipalités – dont Istanbul et Ankara – passées aux mains de l’opposition kémaliste, confronté à la perspective d’une récession économique à cause de l’épidsémie due au coronavirus, le gouvernement islamo-conservateur ne laisse aucun répit aux régions kurdes, où la moindre prise de parole est sanctionnée.

Pour avoir évoqué le risque d’une propagation du virus dans les prisons, la journaliste et militante kurde Nurcan Baysal a été interpellée et interrogée par un procureur le 30 mars. Le lendemain, une enquête a été ouverte contre le journaliste Rusen Takva, accusé d’avoir « créé la panique et la peur parmi la population » par ses déclarations sur le coronavirus dans la région.