Turquie: attentat meurtrier à Diyarbakir

Par Marc SEMO - Jeudi 14 septembre 2006

L'explosion prématurée d'une bombe a fait dix morts, dont sept enfants.

C'est l'attentat le plus grave qui ait ensanglanté la Turquie depuis le début de l'année. L'explosion prématurée d'une bombe a tué 10 personnes, dont 7 enfants, et en a blessé 14 autres, mardi soir en plein centre de Diyarbakir, chef-lieu du Sud-Est turc à majorité kurde. Le carnage a eu lieu dans un parc du centre-ville. Selon les autorités, la bombe, dissimulée dans une Thermos, a sauté pendant son transport. Il semble que la cible réelle des terroristes était un complexe d'immeubles voisin, où logent des policiers.
Lutte armée. Un groupe terroriste ultranationaliste turc (Brigade turque de la vengeance, TIT) a revendiqué l'action mais les autorités restent sceptiques, privilégiant la piste du ratage d'une opération des rebelles kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Considéré comme une organisation terroriste par l'Union européenne et les Etats-Unis, le PKK a nié toute responsabilité. Cette organisation, engagée depuis 1984 dans une lutte armée contre Ankara qui a déjà fait 37 000 morts, concentre en général ses attaques contre les forces de l'ordre. Mais d'autres groupes comme les TAK (Faucons pour la liberté du Kurdistan) ont revendiqué, cette année, la responsabilité de 16 attentats à la bombe, notamment dans des stations balnéaires, faisant en tout 12 morts et 200 blessés.

Ces attentats rappellent néanmoins que la question kurde est en train de se rallumer en Turquie. Depuis le début de l'été, les accrochages sont devenus quasi quotidiens dans le Sud-Est anatolien et, depuis le début de l'année, ont coûté la vie à une centaine de combattants du PKK ainsi qu'à 75 gendarmes et soldats turcs. L'aviation turque a bombardé, fin août, des bases du PKK en Irak du Nord. Au moins 5 000 combattants kurdes retranchés dans ces montagnes ont repris leurs opérations sur le territoire turc. Même restant à faible intensité, ce conflit risque de compliquer la marche turque vers l'UE. Lundi, la principale formation prokurde du pays, le Parti pour une société démocratique, a appelé le PKK à un cessez-le-feu qui a peu de chances d'être entendu.

«La question kurde constitue l'obstacle majeur dans le processus de démocratisation. C'est ce qui bloque la pleine mise en oeuvre des réformes et ce qui pourrait servir de prétexte à une reprise en main autoritaire», 
s'inquiète Baskin Oran, professeur de sciences politiques à Ankara. Quelque 15 millions de Kurdes vivent en Turquie, sur une population de 71 millions d'habitants. Sous la pression de Bruxelles, des réformes ont légalisé les droits culturels des minorités, dont l'emploi de la langue kurde dans les médias. Ces changements sont jugés insuffisants par une partie de la population kurde, notamment dans le sud-est du pays. En avril, de violentes émeutes avaient éclaté à Diyarbakir et les manifestants, dont de nombreux adolescents, criaient des slogans demandant la libération d'Abdullah Öcalan.

Restrictions. 
Le leader du PKK continue, du fond de sa prison, à diriger d'une main de fer ce qui reste de son organisation. En montrant son pouvoir de nuisance, il espère s'imposer comme l'incontournable interlocuteur de toute solution de la question kurde en Turquie, bien que l'Etat refuse toute négociation avec les «terroristes». Il préfère miser sur la politique du pire. En juin, les députés ont adopté une nouvelle loi élargissant l'éventail des crimes susceptibles d'être qualifiés d'actes terroristes et introduisant des restrictions supplémentaires à l'activité des médias. Yavuz Önen, le président de la Fondation pour les droits de l'homme, dénonce «un très net retour en arrière par rapport aux réformes des dernières années». 

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